Du télénursing au testing et tracing

Florence Carrea-Bassin est enseignante à la Haute école de santé Fribourg. Son expérience de clinicienne spécialisée, ayant fait de la première ligne, lui a tout de suite mis la puce à l'oreille lorsque la Suisse s'organisait pour faire face à la COVID-19. Comment permettre aux patient-e-s positifs d'appliquer les règles et recommandations lorsqu'ils se trouvent en auto-isolement ? Comment les aider à appréhender avec moins de stress cette maladie nouvelle ? Persuadée qu'une offre d'auto-soins était à la fois utile pour les patients et un outil pédagogique remarquable, Florence Carrea a monté, en pleine épidémie, une ligne de télénursing. Elle revient sur cette expérience inédite !

​​​Comment est née cette idée de proposer un service de télénursing?

Quand nous avons été confrontés à ce nouveau virus en mars, le matériel d’information n’était pas encore aussi développé qu’actuellement. Pourtant, des patients étaient diagnostiqués positifs au coronavirus dans les filières COVID et devaient, une fois rentrés chez eux, suivre des recommandations alors inédites telles que l’auto-isolement et la mise en place de gestes barrières spécifiques. On oublie souvent la vulnérabilité dans laquelle on peut se trouver quand on est malade : avec l’apparition de symptômes, il est plus difficile de garder sa capacité de réflexion. Ajouter à cela le climat anxiogène provoqué par ce nouveau virus : pour moi, il était essentiel de proposer un service d’accompagnement au plus près des patient-e-s.
Avec Pierre-Yves Rodondi, Directeur Institut Médecine de famille UNI-FR à l’Université de Fribourg, de par nos expertises partagées, nous constations que les pays tel que la Corée du Sud qui avait mis en œuvre rapidement le tracing et le soutien à la population pour la mise en œuvre de de l’isolement avait bien su contenir l’épidémie. Proposer un service de télénursing, assuré par des étudiants en soins infirmiers et en médecine, s’est révélé pertinent tant pour les personnels soignants que pour les organes des conduites sanitaires. Nous avions dressé ce constat de manière proactive, avant même l’atteinte du pic épidémique. L’acceptation rapide par les organes décisionnels nous a permis d’agir rapidement et d’intervenir au moment où la population en avait le plus besoin.

Comment fonctionne un service de télénursing lors d’un pic épidémique d’une maladie jusqu’alors inconnue?

Tout était nouveau, évidemment ! Nous avons donc construit dans l’action. Néanmoins toutes les enseignantes avaient une expérience de la consultation en première ligne mais également l’expérience de guider d’autres personnes à le faire. Mais je dois dire que j’ai été impressionnée : nous avons pu aller très loin avec les étudiant-e-s, qui ont fait preuve de solidarité, de responsabilité et de professionnalisme.
Nos étudiant-e-s disposent, en troisième année, de nombreux apports théoriques. Pour créer ce télénursing, nous les avons mobilisés dans la pratique. D’un point de vue logistique, nous avions tous les moyens technologiques pour démarrer. Nous nous sommes donc lancés ! Nous appelions les patients uniquement sur délégation des soignants. Nous pouvions ainsi toujours nous appuyer sur un diagnostic existant. Toutefois, nous avancions dans l’inconnu : nous ne connaissions ni les patient-e-s ni comment les étudiant-e-s allaient pouvoir assurer cette nouvelle consultation personnellement. Avec l’équipe enseignante, nous avons donc défini des filets de sécurité et établi un suivi très serré : l’ensemble des recommandations transmises au patient étaient validées par un prof. Nous avons choisi de travailler en équipe avec les étudiant-e-s, ainsi ils/elles ont participé, dès le départ, à la construction du service, notamment en créant une synthèse des recommandations afin de coordonner les messages à transmettre au patient-e et son entourage. Ces recommandations étaient mises à jour en fonction de l’évolution des connaissances sur la maladie et des répercussions pour le quotidien des malades et leur famille.
Et finalement, les étudiant-e-s ont pu très rapidement travailler en plus grande autonomie. Leur motivation était très forte et les patient-e-s trouvaient du sens à notre action. Les retours des bénéficiaires ont montré que pour beaucoup, nous leur avons permis de comprendre les recommandations qui leur étaient faites et d’éviter du stress. Nous avons été un outil pour diminuer les symptômes et apporter un peu plus de confort dans la lutte contre la maladie.
La réussite de ce service de télénursing doit également beaucoup au fait que les milieux cliniques et des filières COVID y ont largement participé. Je profite de cette occasion pour les en remercier!

En quoi l’expérience acquise à travers le télénursing est-elle utile dans la phase actuelle de «ré-ouverture»?

Aujourd’hui, cette épidémie et les structures pour la gérer ont évolué. Initialement, les sources d’informations n’étaient pas encore vulgarisées, il existait une grande disparité entre les cantons et nous étions tous novices. Depuis, il y a eu une campagne de santé publique et énormément d’émissions sur la COVID-19. Le projet de télénursing a évolué avec l’épidémie ; aujourd’hui, il n’a plus de raison de le faire perdurer car le projet de tracing assuré par le service du médecin cantonal a vu le jour et il était plus cohérent de coordonner les interventions. Actuellement nos étudiant-e-s formé-e-s au télénursing sont engagé-e-s au tracing/tracking COVID. En tant que Haute école spécialisée, je crois que nous avons montré, avec ce projet, que nous pouvons proposer des idées et contribuer au système de santé de manière pertinente. Nous avons l’agilité d’essayer des choses nouvelles, et lorsqu’elles sont adaptées et portent leur fruit, alors le système de santé peut s’en saisir. Qui sait, nous avons peut-être posé les jalons d’une nouvelle pratique ?
Certains étudiant-e-s mobilisé-e-s pour le télénursing sont aujourd’hui impliqué-e-s pour le tracing. Leur expérience d’infirmier-ière leur donne une approche plus particulière : leur habilité de communication leur permet de voir ce service davantage comme une prise en charge globale que comme un outil de contrôle.
Dans le cas où nous devrions faire face à une deuxième vague, nous serions très rapidement opérationnel-le-s et pourrions collaborer de manière encore plus forte avec les réseaux de soins et les équipes dans les filières COVID. Nous avons tiré quelques apprentissages qui nous permettront d’être encore meilleurs si la situation nécessite une réouverture du service.

En matière d’enseignement, que retires-tu du télénursing?

Je pense toujours d’un point de vue clinique avant de penser pédagogie. Mais je dois dire que là, nous avons beaucoup appris. Au niveau de notre équipe d’enseignant-e-s, nous avons pu apporter une forte expérience, puisque nous sommes toutes cliniciennes avec une expérience de la première ligne. Nous nous sommes tout de suite demandé comment garantir la sécurité des patient-e-s mais aussi celle des étudiant-e-s. Nous avons créé une formation spécifique pour leur permettre d’être opérationnel-le-s dans ce type d’interventions. Nous étions tout de suite dans une pratique infirmière avancée. Je constate que les étudiant-e-s ont gagné en posture professionnelle. Le coaching que nous avons proposé a beaucoup plu aux étudiant-e-s, y compris à ceux de médecine. Ce qui montre aussi que l’interprofessionnalité est à renforcer dans ces situations ; elle permet d’avoir une approche globale.
Enfin, pour les étudiant-e-s, cette expérience leur a fait prendre conscience de leur expertise. Ce qui leur semble évident et simple ne l’est pas forcément pour les patient-e-s. C’est une vraie valorisation pour la poursuite de leur parcours professionnel.